Le 7 décembre 2021, dans le cadre du cours « Histoire économique et sociale de l’Europe après 1945 » (Programme de Master en Histoire européenne contemporaine, MAHEC-S3-M5iii), Franz Clément, docteur en sociologie et chercheur au Luxembourg Institute for Socio-Economic Research (LISER) a fait un exposé sur l’histoire socio-économique du Luxembourg depuis son indépendance jusqu’à aujourd’hui, suivi d’un débat avec les étudiants et le public (présent en ligne). Un bref résumé en est présenté ci-après.
Le conférencier évoque d’abord le fait qu’après l’indépendance du Luxembourg en 1839, le Grand-Duché devient membre du Zollverein afin d’établir des relations économiques avec les pays allemands. À l’époque, l’Allemagne n’existait pas, et cette union était composée de plusieurs principautés et états qui formaient ensemble une coopération économique dont le Luxembourg faisait partie.
À partir des années 1870, le Luxembourg connaît un essor industriel important. Les premières aciéries apparaissent au sud du pays, dans la « Minette ». L’industrie sidérurgique luxembourgeoise, comme celle de Lorraine et Belgique, se développe fortement. Jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, l’acier produit au Luxembourg est majoritairement exporté en Allemagne. Le Luxembourg est ainsi dépendant du marché de son voisin allemand. Parallèlement au développement de l’industrie sidérurgique, l’essor du chemin de fer permet de transporter plus rapidement les marchandises dans la région et partout en Europe. Jusqu’à la Grande Guerre, le Luxembourg est devenu une puissance industrielle non négligeable en Europe (le pays se classe parmi les six premiers producteurs du monde) dynamisée aussi par une importante bourgeoisie luxembourgeoise, qui détient le pouvoir politique et économique du pays. La classe ouvrière est exploitée, ce qui aboutit à des fortes agitations sociales avant et après la Première Guerre mondiale.
Les mois qui suivent l’Armistice en novembre 1918 sont marqués par de grandes difficultés pour l’économie et la société luxembourgeoise. La capitulation de l’Allemagne force le Luxembourg à quitter le Zollverein. L’Allemagne, humiliée lors du traité de Versailles, doit payer des dommages de guerre aux pays occupés. En quête de nouveaux partenaires, le Luxembourg se tourne ainsi vers ses deux autres voisins : la France et la Belgique. Comme les négociations avec la France échouent, le Luxembourg n’a pas d’autres choix que d’envisager une coopération avec la Belgique. C’est ainsi que prend forme l’idée d’une union économique. L’Union Économique Belgo-Luxembourgeoise naît en 1921, bien que « ce fût plus un mariage de raison qu’un mariage d’amour ». Comme la Belgique débouche sur la mer du Nord, les produits sidérurgiques luxembourgeois peuvent être exportés à travers le monde par le port d’Anvers.
La crise économique déclenchée après 1918 s’accompagne au Luxembourg d’une crise de la monarchie. La Grande-Duchesse Marie-Adélaïde (1894-1924) est forcée d’abdiquer « pour avoir collaboré avec les Allemands ». La dépendance économique qui liait le Luxembourg à l’Allemagne avait poussé la Grande-Duchesse à inviter, en pleine guerre, l’empereur allemand Guillaume II (1888-1918) au Luxembourg. La population luxembourgeoise a réfuté cette décision, puisqu’un anti-germanisme s’était installé au Luxembourg au cours de la guerre. Après l’Armistice, les tensions au Luxembourg arrivent à tel point que la compagnie de volontaires (armée luxembourgeoise) se révolte et un comité de salut public proclame la République (9 janvier 1919). Finalement, la Grande-Duchesse Marie-Adélaïde abdique en faveur de sa sœur Charlotte (1896-1984), qui devient Grande-Duchesse du Luxembourg. Les tensions s’apaisent considérablement.
L’entre-deux-guerres est aussi marqué par l’avènement du dialogue social, car l’émergence de nouvelles institutions donne au Grand-Duché des capacités à s’autogérer. Ainsi, six chambres professionnelles sont instaurées. Face au système monocaméral du Luxembourg, ces chambres contrebalancent le pouvoir de la Chambre des députés. Les professions qui y sont représentées mettent en place des dispositions légales pour devenir de véritables colégislateurs et pour faire valoir leur pouvoir.
Le Luxembourg et son économie sortent meurtris de la Seconde Guerre mondiale. En matière internationale, l’approche adoptée après 1945 est forte différente de celle qui a suivi la Grande Guerre : il s’agit de l’intégration de l’Allemagne dans le nouveau multilatéralisme voué à stabiliser la paix dans la durée. Ainsi, l’idée principale de la construction européenne telle qu’elle émerge dans la Déclaration de Robert Schuman (9 mai 1950) est de faire de l’Allemagne un partenaire afin d’instaurer durablement la paix en Europe. Le Luxembourg, qui a vécu la douloureuse expérience de violation de sa neutralité, participe activement – en qualité d’État fondateur – à la construction européenne (CECA, CEE, UE) et à la création d’autres institutions internationales comme l’ONU, l’OTAN ou le Conseil de l’Europe.
Après le véritable miracle économique qu’avait connu l’Europe occidentale dans les années 1950 et 1960, le Luxembourg et ses pays voisins se voient confrontés à la crise sidérurgique. Afin d’éviter l’effondrement de l’économie, les dirigeants politiques luxembourgeois mettent en œuvre l’idée d’instaurer la « Tripartite » – un dialogue permanent entre le gouvernement, les représentants du patronat et des syndicats afin de surmonter cette crise. Dans ce « comité de coordination tripartite », des systèmes de préretraite et de réformation sont décidés. Les trois composantes de la « Tripartite » partagent le consensus que la sidérurgie se trouve dans une phase de déclin et que toute forme d’investissement pour relancer cette industrie dans les conditions données serait vouée à l’échec. Il faut réformer ! Ainsi, dès les années 1980 et grâce à des politiciens éclairants comme Gaston Thorn, Pierre Werner, puis Jacques Santer et Jean-Claude Juncker, l’économie luxembourgeoise se réforme en se diversifiant et en cherchant de nouveaux débouchés et niches. Le Luxembourg prend conscience de ses atouts en développant le secteur tertiaire, plus particulièrement la place financière pour compter, ces dernières années, parmi les plus importantes places financières internationales du monde.
Avec le développement du secteur des services et son internationalisation (l’installation de banques étrangères au Luxembourg), le besoin en une main-d’œuvre qualifiée augmente. Ainsi, au Luxembourg, le travail frontalier est en constante augmentation depuis 1985. Aujourd’hui, 47% de la main-d’œuvre du pays est issue des régions frontalières. 50% vient de la France et 25% de la Belgique et de l’Allemagne. La croissance économique du Luxembourg est indéniablement liée au travail frontalier.
Cette croissance économique a toutefois des répercussions sur la vie quotidienne au Luxembourg, notamment sur l’augmentation des prix du logement et la mobilité. Un autre grand défi du XXIe siècle est d’adapter régulièrement l’économie nationale au besoin du pays. Ainsi, en 2016 le gouvernement luxembourgeois a demandé à l’économiste américain Jeremy Rifkin de donner sa vision des principaux défis du pays dans les années à venir, notamment dans le domaine organisationnel, et en conséquence économique. Il en résulte la réflexion intitulée « Troisième révolution industrielle » (2016) censée préparer économiquement le pays à l’augmentation de la population jusqu’à 1 million d’habitants (l’économie circulaire, l’éthique écologique, une nouvelle vision énergétique, la réorganisation et le développement du transport public jouent un rôle essentiel). L’Université du Luxembourg, la reconversion de l’économie vers l’espace et le développement du télétravail ne sont que quelques exemples qui montrent que les dirigeants économiques et politiques du pays anticipent le futur afin de résoudre efficacement les crises à venir.
Anne Schmit (étudiante du MAHEC, Master en histoire européenne contemporaine, à l’Université du Luxembourg)